Le Blog Mosagri
“Faire mon jardin, c’est faire ma révolution” – Adrien Legendre
Adrien cultive les légumes et les réseaux pour produire un nouveau modèle d’agriculture et de consommation. Entretien.
Quel a été ton parcours jusqu’à Mosagri ?
J’ai été technicien réseaux informatiques pendant 8 ans. Une dernière mauvaise expérience m’a permis de changer. Un ami m’a dit : « J’ai fait du woofing en Corse avec un agriculteur » et il m’a donné des livres. J’ai fait 3 ans de woofing, ça m’a beaucoup plu. Les nombreux échanges m’ont permis de découvrir et d’apprendre le métier. J’ai fait des séjours dans une quarantaine de fermes entrecoupés de petit boulot dans l’informatique. Ça m’a donné un gros bagage et la certitude que c’était vers ça que je voulais m’orienter.
Suite à quoi, j’ai fait un BPREA (Brevet Professionnel Responsable d’Entreprise Agricole) en maraîchage biologique à Hyères (83) ; ça m’a permis d’avoir un statut. J’ai trouvé un travail d’ouvrier agricole pendant deux ans chez un maraîcher bio qui m’a donné ses conseils et ses visions, ainsi que deux marocains qui étaient là depuis 15 ans. Cela m’a donné toutes mes bases de savoir-faire.
Mais j’avais envie de trouver un terrain, de faire mon propre projet. Or c’est difficile de trouver un terrain ici quand tu n’es pas provençal. J’ai monté une petite activité où je faisais des jardins chez les particuliers, en leur offrant un accompagnement potager et paysager. C’était dans le cadre d’une SCOP (Interfaces, Marseille) et ça relevait du “service à la personne” puisqu’Interfaces n’avait pas de volet agricole.
En participant aux réunions de différentes associations, j’ai rencontré Jean André, qui a créé Croq’Jardin à La Roque d’Anthéron (13). Il m’a proposé de prendre un espace agricole conçu comme un espace-test, avec une convention tripartite entre les Foyers ruraux, Croq’Jardin et Mosaïque.
Quelques années auparavant, j’avais rencontré Tristan Klein (gérant de Mosaïque jusqu’en 2020), j’avais l’expérience d’une SCOP, donc la proposition de Jean m’a donné envie d’expérimenter l’activité de maraîcher et me l’a permis. D’autres avant moi avait décliné l’offre : 4500 m², ça reste trop petit pour être rentable. Moi j’ai accepté parce que j’avais une autre activité : les potagers. Je pouvais commencer mon petit “kif” d’exploration agricole, maraichère, diversifiée etc. tout en ayant de quoi vivre. C’est à travers ces contacts et la convention que je suis arrivé chez Mosagri.
Comment as-tu développé ton activité ?
Le maraîchage, c’est un engrenage : quand on met les mains dedans, ça prend tout. Mais les choses se font assez naturellement. La première année, je n’ai fait que la serre et un peu dehors ; la deuxième année, j’ai pris toute la surface disponible avec la mise en culture du terrain extérieur ; la troisième année, j’ai récupéré d’autres terrains pour arriver à 6000 m2. Cette année je suis sur ma surface maximale.
Au départ, j’ai eu la chance de partager les outils de Croq’Jardin – depuis, je me suis autonomisé – et de bénéficier du réseau de Jean André : ses amis chevriers, par exemple, m’ont aidé dans mon installation, ils m’apportent du fumier, des petites choses qui font beaucoup.
Parallèlement, j’ai développé mes ventes, dans plusieurs lieux et sous plusieurs formes.
D’abord sur le marché communal de La Roque d’Anthéron, le jeudi, où la mairie m’a tout de suite permis d’avoir une bonne place. C’était très bien pour commencer, ça m’a permis de me faire connaître. Pendant le confinement, j’ai créé un système de paniers, j’ai récupéré mes clients du jeudi et, de son côté, quand le Lidl était vide, la Mairie s’est dit « on va créer des dynamiques agricoles sur le village ». En sortie de confinement, la Mairie m’a proposé de créer un petit marché de producteurs le samedi matin, qui s’adresse aux familles, aux gens qui travaillent pendant la semaine.
A Cadenet, j’ai eu une place sur le marché, le lundi. Et puis un magasin de producteurs s’est créé et m’a proposé d’intégrer leur dynamique. En un an et demi, on a créé une association, monter le projet, puis créé une SCI coopérative pour acheter le bâtiment (on est 29 propriétaires) et pour intégrer d’autres projets.
Ce n’est pas par hasard que les gars m’ont appelé : depuis trois ans, j’étais bénévole au café associatif de Lauris, je faisais les fêtes paysannes, donc je les connaissais tous et j’ai donné de mon temps. C’est un investissement et ça me semble aussi avoir du sens que d’essayer des dynamiques un peu différentes, coopératives, associatives. Ça rejoint ce que je fais et la façon dont je le fais.
J’ai tout intérêt à développer des réseaux ailleurs que dans le réseau agricole et de faire des cercles qui s’imbriquent. C’est aussi ça la résilience : arriver à rebondir un peu partout pour pouvoir s’adapter. Et depuis le début, les choses s’emboîtent …
Et maintenant ?
Je cultive sans tracteur et j’utilise des méthodes de haute densité. Je n’ai pas les écartements du tracteur, donc je peux, sur une petite surface, cultiver proportionnellement davantage que ce qu’on cultive avec un tracteur. Par là, j’expérimente un modèle différent, mais peut-être pas si différent de ce que faisaient les anciens, je pense. Je suis jardinier-maraîcher. “Exploitation agricole”, ça ne me correspond pas du tout ; j’aime bien le terme d’“exploration agricole”. En fait, j’ai différentes inspirations et je fais un mix pour que ce soit fonctionnel sur mon terrain. L’idée c’est d’arriver, sur une petite surface, à produire le maximum.
J’ai 40 ans et j’ai la chance de pouvoir me dire « il y avait un petit bout de terrain qui était réservé pour moi », ce qui n’est pas donné à tous. C’est un truc un peu passionnel qui, à l’âge que j’ai, me plaît. Ce n’est pas seulement que je sois mon propre patron, que j’aie la liberté de faire ce que je veux : les clients m’envoient du rêve. Le “zéro traitement”, j’en fais un argument commercial, mais je pense surtout que ça se ressent dans le goût de mes légumes. La plupart des gens reviennent, ils sont très positifs. Donc ça donne envie de continuer comme ça.
Et puis travailler au sein de Croq’Jardin crée une dynamique particulière : les gens viennent faire leur potager, il y a des animations pour les promeneurs, alors que l’agriculteur seul au milieu de son champ ne voit personne de toute la journée, sauf quand il fait les marchés.
Parfois, je trouvais des touristes dans ma serre, donc on a mis en place un portail, que j’ouvre régulièrement : ça met en valeur le travail de l’agriculteur, ça crée de la profondeur au sein de Croq’Jardin.
Quant au magasin de producteurs, c’est dynamisant et instructif de se réunir avec des gens qui ont 20 ans d’expérience. Et c’est passionnant : c’est encore de l’ordre de la résilience, par rapport à un système qui part à la dérive, selon moi. Ça permet aux territoires de s’autonomiser par rapport à ce qu’on a vu au premier confinement. Les gens qui vendent dans les franchises, j’ai du respect pour eux, mais ça peut s’effondrer facilement. Alors que si on arrive à se fédérer, nous paysans, on donne une force globale au territoire et ça a beaucoup de sens maintenant, quand on a vu les gens se ruer sur le PQ et les pâtes ! Quelque part, pour moi, faire mon jardin, c’est faire ma révolution : c’est un moyen positif de changer mon monde. Oui, je suis une goutte d’eau, mais déjà j’ai changé mon monde et je pense que ça apporte un petit changement dans la vie des gens, même si je ne vois que cent personnes. Ça correspond à un projet de vie et à un projet idéologique.
Que prévois-tu de faire évoluer ?
La prochaine étape, c’est d’améliorer encore le plan de culture, de densifier au maximum les plants pour avoir encore plus de réussite, de corriger les erreurs que j’ai faites cette année : par exemple, je ne cultiverai plus de carottes l’été, qui me restent sur les bras, mais seulement au printemps, où elles cartonnent, et en octobre. Les carottes demandent énormément de travail et une culture sous serre qui n’est pas rentabilisée, c’est catastrophique !
Je pourrais être plus ambitieux : les choses qui se développent me permettraient de faire grandir encore mon activité. Mais j’arrive à une mesure qui me semble maximale et que je ne veux pas dépasser : en terme de temps, le travail est à ma mesure. D’autant qu’on commence à voir le bout du tunnel. L’objectif initial, c’était de me dégager un salaire correct au bout de quatre ou cinq ans ; je pense qu’on va y arriver. Quand je dis « on », je pense à Anne Moeglin, mon accompagnatrice à Mosaïque, et à tous les acteurs qui m’accompagnent dans le projet. Il s’agit d’arriver à cette stabilité, même si ce n’est pas une fin en soi.
Comment vois-tu les dispositifs de Mosaïque, le CAPE (Contrat d’Appui au Projet d’Entreprise), par exemple ?
J’ai été trois ans en CAPE, je suis devenu coopérateur associé en décembre 2020. Je pense que le CAPE est un dispositif intéressant. Tu peux tester ton activité sans prendre trop de risque d’installation : il te permet de créer tout en gardant tes droits ouverts et il t’offre un accompagnement.
Et l’espace-test ?
L’espace-test, ce n’est pas seulement essayer de cultiver bio, c’est un nouveau modèle agricole. Les agriculteurs arrêtent les uns après les autres et, très souvent, les enfants ne reprennent pas les fermes. La dynamique agricole change : ceux qui ont envie de travailler, ce sont des gens passionnés, qui veulent effectuer une transition vers une nouvelle forme d’agriculture, le retour à la terre, un retour à une forme d’agriculture qui avait lieu ici comme partout. Et les mentalités peuvent évoluer : on n’est plus forcément agriculteur de 20 à 70 ans comme avant, on n’est pas obligé de s’installer et d’investir 50 000 €, de passer sa vie à rembourser ses emprunts … et puis mourir. On est dans des modèles de société où il est normal de se reconvertir pour faire un autre métier, donc on peut donner la possibilité à des gens d’être agriculteurs pendant un temps court. Moi, idéalement, je voudrais faire ça une dizaine d’années pour rentabiliser vraiment mon activité. Ensuite, je me laisse la possibilité de rebondir vers autre chose, comme j’ai déjà su le faire : vers un projet collectif, de la formation …
Les communes ont intérêt à mettre toutes les chances de leur côté en créant ce genre d’initiative. Pour elles, ça ne coûte pas grand-chose de monter une serre, de mettre de l’irrigation et de permettre à quelqu’un de faire quelques légumes, de voir si ça lui plaît. Si c’est le cas, on peut lui réserver un autre terrain où il s’autonomise, sinon il reste un temps et fait ses légumes. Des élus de Marseille, de Puyricard, de Miramas sont venus en début de saison. Ils veulent créer des espaces-test. Je leur ai expliqué ma vision de la chose, ils étaient assez contents !
Quelle place tient Mosaïque ?
Pour moi l’argument principal, c’est la mutualisation de la comptabilité et de la plate-forme de gestion Louty. C’est aussi l’aspect juridique et l’accompagnement.
Et c’est un réseau autour de moi : une fille, dans le magasin de producteurs, qui veut faire des sodas, une cliente qui fait du coaching, un ami élagueur … Comme il y a une bonne dynamique, on peut travailler les uns avec les autres. Ça peut ouvrir des opportunités, pas seulement amicalement, mais professionnellement. Par exemple, si j’ai besoin de quelqu’un pour ramasser des fraises, je préfère embaucher quelqu’un de Mosaïque, c’est plus simple.
Le système me plaît, j’en parle autour de moi, comme mes clients parlent de mes tomates à leurs voisins. Quand on me pose la question, je dis : « Va chez Mosaïque, c’est d’la balle ! ». C’est ce que j’ai fait avec Patricia. Il y a du lien entre les réseaux et je pense que c’est vraiment intéressant de dynamiser Mosaïque sur mon territoire.
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Entretien : François Diot
Portrait : Patrick Urvoy
Ces portraits sont réalisés dans le cadre d’un projet visant à rendre visible et faire (re)-connaitre le dispositif Mosagri de test d’activité agricole, le statut d’entrepreneurs agricoles, particulièrement en milieu rural et qui pérennise leur activité comme entrepreneurs salariés associés.
Nous remercions la Fondation AG2R La Mondiale qui co-finance ce projet.